Bertrand Cantat : « Jamais au criminel son crime ne pardonne »
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French rock singer Bertrand Cantat waits in the courtroom 22 March 2004 in Vilnius at the end of his trial on charges of murdering his actress girlfriend Marie Trintignant last year in Vilnius. A verdict is expected 29 March. AFP PHOTO PETRAS MALUKAS / AFP PHOTO / PETRAS MALUKAS
« Jamais au criminel son crime ne pardonne »… Bertrand Cantat pourrait méditer ce vers de Victor Hugo. En effet, la mémoire d’un crime ne disparaît pas avec l’épuisement de ses conséquences pénales, et il est en train de l’apprendre.
L’ancien chanteur de Noir Désir veut reprendre sa carrière de chanteur, interrompue après le meurtre de Marie Trintignant commis à Vilnius en juillet 2003. Condamné à huit ans d’emprisonnement par les tribunaux lituaniens, il purge sa peine en France et obtient sa liberté conditionnelle en 2007, puis sa liberté totale en 2011. Après quelques apparitions plus ou moins discrètes dans les médias, quelques albums plus ou moins confidentiels, il veut désormais revenir sur le devant de la scène et une tournée est envisagée pour l’été 2018.
Bertrand Cantat a plutôt mal choisi le moment de son retour. Depuis l’affaire Weinstein et les hashtags #dénoncetonporc et #Metoo, la question des violences faites aux femmes se trouve au coeur de l’actualité. Après les réseaux sociaux, ce sont les pouvoirs publics qui se sont emparés de la question pour développer des politiques publiques de lutte contre les violences, faire adopter des textes sur le harcèlement etc. Dans un tel contexte, le retour de Bertrand Cantat suscite des débats passionnés. D’un côté, le chanteur estime qu’il a payé sa dette à la société et il revendique droit de reprendre son métier. De l’autre côté, une opinion souvent hostile et des élus locaux qui menacent de supprimer les subventions des festivals qui accueilleraient le chanteur. Celui-ci se voit donc contraint d’annuler les spectacles faisant l’objet d’un financement public, mais il proteste hautement en s’appuyant sur un certain nombre de libertés et de droits dont il s’estime titulaire.
La liberté d’expression
Betrand Cantat affirme d’abord que sa liberté d’expression est atteinte et qu’il fait l’objet d’une censure. Il s’appuie donc implicitement sur l’article 11 de la Déclaration de 1789 et sur l’article 10 de convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui la consacrent.
L’analyse ne résiste pas à l’examen, même sommaire. En effet, aucune mesure de police administrative n’a été prise et aucun spectacle n’a été interdit. La situation de Bertrand Cantat est donc bien différente de celle de Dieudonné, dont le spectacle avait fait l’objet d’une interdiction préalable dans plusieurs villes. Ces interdictions, prononcées par une autorité administratives, invoquaient une atteinte au principe de dignité, composante de l’ordre public. On sait que, dans un premier temps, en janvier 2014, le juge des référés du Conseil d’Etat avait refusé de suspendre une telle interdiction. Il était ensuite revenu à une jurisprudence plus traditionnelle en février 2015, estimant que l’interdiction du spectacle de Dieudonné constituait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression. Les pouvoirs publics étaient en effet parfaitement en mesure de garantir un ordre public qui d’ailleurs n’était pas sérieusement menacé.
Dans le cas de Bertrand Cantat, les spectacles se déroulent normalement, tout au moins ceux qui ne sont pas financés par des capitaux publics. Les élus locaux n’ont rien interdit, mais se sont bornés à annoncer le retrait d’une subvention. Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une relation contractuelle, qu’il s’agisse d’une délégation de service public, d’un marché public, voire d’un autre type de contrat. Dans tous les cas, la collectivité publique conserve un pouvoir discrétionnaire de modifier les termes de la convention. Betrand Cantat l’a d’ailleurs parfaitement compris, puisqu’il a annoncé son retrait de l’ensemble des festivals auxquels il devait participer durant l’été 2018. En revanche, ses concerts prévus dans des théâtres privés comme l’Olympia sont maintenus. Sa liberté d’expression est donc intacte, et ceux qui le souhaitent peuvent aller l’entendre.
Le droit à la réinsertion
Dans un message diffusé sur Facebook, Bertrand Cantat invoque son « droit à la réinsertion ». L’idée vient sans doute d’un spécialiste de la communication, mais pas d’un juriste. Car le droit à la réinsertion n’existe pas.
On peut définir la réinsertion comme un processus de réintégration dans la société des personnes condamnées, dans le but notamment d’éviter la récidive. La réinsertion est donc un devoir de l’Etat, un objectif à atteindre. La Cour européenne des droits de l’homme ne l’entend pas autrement. Dans l’arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni de 2013, elle observe que « si le châtiment demeure l’une des finalités de l’incarcération, les politiques pénales en Europe mettent dorénavant l’accent sur l’objectif de réinsertion de la détention ». Il est donc clair que l’objectif de réinsertion n’a des conséquences que pendant l’incarcération, lorsqu’il s’agit de donner au détenu les moyens de réinsérer à sa sortie, par exemple avec la possibilité de suivre une formation ou de prendre contact avec un futur employeur. La loi française du 22 juin 1987 s’inscrit dans cette perspective, et affirme que « le service public pénitentiaire a pour mission de favoriser la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire ».
Une fois sorti de prison, l’intéressé a purgé sa peine et payé sa dette à la société. Il n’est pas pour autant titulaire d’un droit à la réinsertion qui lui permettrait d’exiger qu’elle lui offre un emploi ou un quelconque statut particulier.
Le droit à l’oubli
S’il ne peut invoquer un droit à la réinsertion, Bertrand Cantat peut-il invoquer le droit à l’oubli ? Il ne s’en est pas privé, mais force est de constater que sa définition du droit à l’oubli n’est pas celle du droit positif.
Création doctrinale, il apparaît avec la très célèbre affaire Landru, en 1965, sous la plume critique du Professeur Gérard Lyon-Caen. A l’époque, l’ancienne maîtresse du célèbre criminel demandait, devant le juge civil, réparation du préjudice que lui causait la sortie d’un film de Claude Chabrol, relatant une période de sa vie qu’elle aurait préféré enfouir dans le passé. Le juge a alors évoqué une « prescription du silence », pour finalement rejeter la demande au motif que la requérante avait elle même publié ses mémoires, et que le film reprenait des faits relatés dans des chroniques judiciaires parfaitement accessibles (TGI Seine, 14 octobre 1965. Mme S. c. Soc. Rome Paris Film, confirmé en appel : CA Paris 15 mars 1967). Le terme de « prescription du silence » était l’objet même de la critique de Gérard Lyon-Caen, car elle cette notion laissait supposer une certaine automaticité. Or, le juge apprécie ce type d’affaire au cas par cas, en fonction des intérêts en cause, et de la réelle volonté de discrétion affirmée par l’intéressé. C’est sans pour cette raison que le TGI de Paris, dans une décision Madame M. c. Filipacchi et Cogedipresse du 20 avril 1983, va finalement consacrer la notion nouvelle : « Attendu que toute personne qui a été mêlée à des évènements publics peut, le temps passant, revendiquer le droit à l’oubli (…) ; Attendu que ce que droit à l’oubli qui s’impose à tous, y compris aux journalistes, doit également profiter à tous, y compris aux condamnés qui ont payé leur dette à la société et tentent de s’y réinsérer ».
Cette jurisprudence ancienne n’a guère été modifiée. Tout au plus, le droit positif a t il élargi le droit à l’oubli en élargissant son champ de la responsabilité civile à la responsabilité pénale. L’intéressé peut donc l’invoquer devant le tribunal correctionnel, dès lors que la violation du droit à l’oubli s’analyse comme une violation de la vie privée, voire comme une diffamation. De la même manière, une décision du CSA du 10 janvier 2010 rappelle à France 2 que l’émission « Faites entrer l’accusé » doit s’abstenir de donner à l’antenne des informations relatives à la vie présente de la personne condamnée. Lorsque celle-ci s’exprime dans l’émission, elle doit également pouvoir obtenir le floutage de son image et la transformation de sa voix.
Un élément du droit à l’oubli n’a jamais changé : l’intéressé doit avoir manifesté, après sa condamnation, une réelle volonté de discrétion, un désir de se fondre dans la population, de se mettre à l’abri de la curiosité des médias. Bertrand Cantat peut donc difficilement invoquer le droit à l’oubli, dès lors qu’il recherche la médiatisation, non seulement en participant à des spectacles, mais aussi en donnant des interviews, par exemple aux Inrockuptibles.
Bertrand Cantat aura sans doute la satisfaction d’obtenir une réhabilitation, dix ans après la fin de sa peine, procédure qui a pour seule conséquence l’effacement de sa condamnation sur la partie de casier judiciaire communicable aux tiers. Mais il demande en réalité une autre forme de réhabilitation, sociale cette fois, sorte d’effacement de sa condamnation qui sortirait ainsi de la mémoire collective. Mais l’oubli de sa condamnation supposerait l’oubli des faits qui l’ont suscitée, et c’est précisément ce qui semble insupportable à beaucoup. Or ils ont le droit de manifester, comme Bertrand Cantat a le droit de chanter.
Il va sans doute devoir prendre conscience des limites du droit. Ce dernier ne peut pas imposer le silence sur une condamnation lorsque l’intéressé recherche lui-même la notoriété médiatique. Il ne peut pas davantage imposer le pardon, qui n’appartient qu’aux victimes et ne saurait être décidé par décret. De toute évidence, Bertrand Cantat n’a pas encore tiré toutes les leçons de sa triste expérience, et il doit apprendre que « jamais au criminel son crime ne pardonne ».