En Irak, la « génération PUBG » veut « soigner » son pays

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C’est une nuée blanche qui recouvre les rues: en uniforme d’écolier ou en blouse d’étudiant en médecine, les jeunes s’invitent dans la contestation en Irak pour dire à leur tour leur hostilité à un pouvoir qui ne les représente pas.

Ils sont pour beaucoup sortis en faisant croire qu’ils allaient en cours à leurs parents, inquiets après la mort de plus de 200 personnes, en majorité des manifestants depuis le début du mois.

« Adel, chef des voleurs! », crient-ils à l’adresse d’Adel Abdel Mahdi, chef du gouvernement du douzième pays le plus corrompu au monde selon Transparency International.

« Ils volent des milliards et le peuple ne voit rien des ressources du pays », deuxième producteur de l’Opep, s’emporte Tareq, en troisième année de médecine dentaire à Bagdad, dont la grosse moustache noire tranche avec sa blouse blanche.

Officiellement, depuis la chute il y a 16 ans du dictateur Saddam Hussein, la corruption a englouti 410 milliards d’euros de fonds publics. Et le système de répartition des postes en fonction des confessions et des ethnies n’a fait que renforcer le clientélisme sans laisser d’horizon ouvert aux jeunes –dont un sur quatre est au chômage.

« Avant, on avait un seul Saddam, maintenant on a tout un Parlement de Saddam », s’époumone, sur la place Tahrir de Bagdad, Rafel, qui étudie l’administration financière.

Casquette noire vissée sur son voile blanc, elle s’insurge: « ce n’est pas à moi d’expliquer aux ministres comment faire leur travail ». Mais s’il faut proposer des solutions, elle en a, et plein, dit-elle.

« Il faut rouvrir les usines fermées depuis des années et donner du travail aux jeunes chômeurs », et aux « diplômés qui se retrouvent à conduire des taxis ».

« Corrompus », les politiciens –qui vivent et travaillent pour beaucoup dans la Zone verte de Bagdad– sont aussi déloyaux, dénoncent des jeunes manifestant sous une nuée de drapeaux irakiens.

« Ce sont des collaborateurs de l’étranger », accuse Haydar, étudiant en pharmacie à Bagdad, dans un pays où politiciens et groupes armés s’accusent mutuellement d’être affiliés, entre autres, à l’Iran, aux Etats-Unis, à l’Arabie saoudite ou à la Turquie.

Face à un système dont ils se disent les grands absents, les jeunes, généralement premiers abstentionnistes en Irak, s’organisent pour le changement.

Les autorités ont beau maintenir le blocus sur les réseaux sociaux, tous ont désormais téléchargé sur leurs portables des applications VPN leur permettant de rejoindre les groupes formés en ligne.

Sur Facebook ou Whatsapp, ils se passent mots d’ordre, heures et lieux des rassemblements, explique Alaa, lycéen en terminale à Bagdad, « car il faut soutenir les manifestations, même si c’est seulement avec notre voix ».

« Il faut qu’on garantisse nos droits pour plus tard, comme ça quand on sera diplômé, on trouvera un emploi », affirme à l’AFP Ali, un collégien manifestant dans la ville pétrolière de Bassora (sud).

Et, prévient Ahmed, étudiant en pharmacie, « on maintiendra la grève jusqu’à ce qu’on obtienne satisfaction ».

Car aujourd’hui, les jeunes en sont convaincus : ils veulent reprendre le pays aux dirigeants, aux parrains étrangers, aux miliciens et aux partis politiques auxquels ils disent n’avoir jamais cru.

« Ils nous ont appelé +la génération PUBG+, regardez ce qu’elle fait maintenant la génération PUBG », du nom d’un jeu de combat en ligne, lance, frondeuse, Samarra, élève ingénieure descendue sur Tahrir.

« Ne nous apprenez pas seulement à soigner les malades ! Apprenez-nous à soigner le pays », proclame une pancarte brandie par une étudiante en médecine à Najaf, ville sainte chiite au sud de Bagdad.

Raghed, elle, n’est pas étudiante mais professeur d’université. Elle est dans la rue « pour soutenir » les jeunes: « Cette génération-là, le pouvoir ne pourra pas la tromper, elle a grandi avec la démocratie et dans l’ouverture ».

Mais, alors que le bilan officiel est déjà établi à 231 morts, cette Bagdadie au voile blanc et rouge savamment drapé autour du visage met aussi ses étudiants en garde.

« Le mouvement doit rester pacifique, car le sang de nos jeunes est précieux », dit-elle à l’AFP.

« Et les gens de la Zone verte ne valent pas la peine qu’on meurt pour eux ».

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