Fin de cavale pour Carles Puigdemont

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Catalan Mossos d'Esquadra regional police officers clash with pro-independence supporters trying to reach the Spanish government office in Barcelona, Spain, Sunday, March 25, 2018. Grassroots groups both for and against Catalan secession called for protests Sunday in Barcelona after Carles Puigdemont, the fugitive ex-leader of Catalonia and ardent separatist, was arrested Sunday by German police on an international warrant. (AP Photo/Felipe Dana)

Visé par un mandat d’arrêt européen, le président destitué de la Catalogne a été arrêté en Allemagne dimanche. En réaction, des milliers de partisans de l’indépendance sont descendus dans les rues de Barcelone, où des heurts parfois violents ont éclaté.

Carles Puigdemont, le président destitué de la Catalogne, a été pris à son propre jeu. Il se targuait de pouvoir se déplacer librement à travers l’Europe malgré les comptes que lui réclame la justice espagnole. Il collectionnait les voyages et les conférences en Belgique, au Danemark, en Suisse puis en Finlande, comme autant de pieds de nez envoyés par carte postale aux autorités ibériques. Il vantait le caractère démocratique et libéral des pays qui écoutaient ses discours avec attention sans croire une seule seconde, pensait-il, aux arguments des autorités espagnoles, nécessairement autoritaires et mal défranquisées… Puigdemont a finalement été arrêté dimanche matin par la police allemande, alors qu’il venait de passer la frontière danoise à bord d’une voiture belge surveillée par les services secrets espagnols.

À l’annonce de son arrestation, des milliers de séparatistes catalans sont descendus dimanche dans les rues de Barcelone, affirmant qu’elle n’arrêterait pas leur marche vers l’indépendance, les plus échauffés se heurtant à la police. Alors qu’un cortège défilait tranquillement avec les traditionnels drapeaux indépendantistes, le ton est monté chez les manifestants convoqués par les Comités de défense de la République (CDR), un groupe radical qui prône la rupture avec l’Espagne sans attendre. À proximité de la préfecture, certains ont lancé des poubelles en direction des policiers catalans, les Mossos d’Esquadra, qui ont repoussé la foule à coups de matraque et même tiré des coups de feu en l’air. Devant la délégation de la Commission européenne, ils criaient «Cette Europe est une honte». Devant le consulat d’Allemagne, ils ont brandi une photo de la chancelière allemande Angela Merkel, affublée d’une moustache à la Hitler. Selon les services de scours, au moins 79 personnes ont été blessées légèrement à Barcelone.

Passible de 30 ans de prison

Héraut de l’internationalisation de la cause indépendantiste catalane, Carles Puigdemont s’est laissé piéger par un banal mécanisme de coopération communautaire: un mandat d’arrêt européen (MAE), réactivé vendredi soir à Madrid par la Cour suprême.

Le juge Pablo Llarena, en charge de l’instruction de l’affaire, a formellement notifié vendredi dernier les accusations qui pèsent sur 28 responsables indépendantistes, dont le procès devrait s’ouvrir à l’automne prochain. Le délit le plus grave, celui de rébellion, est passible de 30 ans de prison et est attribué à 13 personnes, dont Puigdemont. Son application à la crise catalane est très discutée parmi les spécialistes, parce qu’elle suppose l’existence d’actes de violence alors que les manifestations indépendantistes se sont caractérisées par leur caractère pacifique.

Alors qu’il décrétait l’entrée en prison provisoire de cinq responsables sécessionnistes, le magistrat lançait ou relançait un MAE contre cinq autres, partis vivre à l’étranger et qu’il considère comme des fugitifs. Les pays membres de l’UE ont l’ordre de procéder à l’arrestation des accusés. Après avoir vérifié que les faits reprochés par la justice espagnole correspondent à des délits dans leurs propres Codes pénaux, les tribunaux nationaux doivent ensuite remettre les responsables à Madrid. Le MAE, entièrement géré par les systèmes judiciaires des États membres, a été conçu pour faciliter les remises de présumés délinquants d’un pays à l’autre sans passer par les gouvernements, à la différence du mécanisme classique d’extradition.

À l’annonce de l’émission du MAE, Puigdemont se trouvait en Finlande, où il a prononcé une conférence vendredi matin. Le «président en exil», comme il se définit, a alors décidé de précipiter son retour à Waterloo, la commune proche de Bruxelles où il s’est établi dans une villa de 500 m² qu’il présente comme «la Maison de la République» catalane.

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Son équipe d’avocats connaît déjà la réaction de la justice belge au MAE. En novembre dernier, la juge d’un autre tribunal espagnol avait déjà émis un mandat d’arrêt. La justice belge avait étudié son cas avec beaucoup de calme, et la défense espérait que la demande espagnole soit rejetée ou que le juge belge ne permette à son homologue espagnol de ne juger Puigdemont que pour des délits mineurs telle que la malversation. Cette attitude avait conduit le juge Llarena, une fois qu’il eut récupéré le dossier, à désactiver le MAE tout en avertissant qu’il pourrait le relancer à un autre moment de l’instruction.

Quelques heures après l’annonce de l’arrestation du leader catalan Carles Puigdemont, dimanche 25 mars, une foule de barcelonais a défilé dans les rues en réclamant sa libération.

Puigdemont avait donc tout intérêt à rentrer en Belgique plutôt que de voir sa demande examinée par la justice finlandaise, dont on ignore si elle aurait été aussi accommodante. Pour éviter d’avoir à présenter ses papiers à l’aéroport, il a pris place dans une voiture qui devait parcourir les quelque 2000 km qui séparent Helsinki de Waterloo. À malin, malin et demi. Les services secrets espagnols suivaient le véhicule. Plutôt que de prévenir la Finlande, la Suède ou le Danemark, trois pays traversés par le Renault Espace de Puigdemont, les agents ont attendu patiemment que ce dernier et ses quatre accompagnateurs pénètrent en territoire allemand.

Le pays est connu pour être l’un des États membres les plus coopératifs en matière policière et judiciaire. Et le délit allemand de haute trahison, passible de 10 ans de prison, ressemble beaucoup à celui de rébellion tel que défini dans le Code pénal espagnol. À Schuby, à une trentaine de kilomètres de la frontière danoise, la police allemande arrêtait Puigdemont puis le transférait à la prison de Neumünster.

L’arrestation de Puigdemont parachève le lent et implacable travail de désarticulation du mouvement indépendantiste catalan par la justice espagnole. Aujourd’hui, neuf ex-dirigeants, sécessionnistes sont placés en détention provisoire à Madrid. Parmi eux, un ex-vice-président, des ex-ministres régionaux, les dirigeants des deux grandes associations indépendantistes et Jordi Turull qui, jeudi encore, était candidat à l’investiture pour succéder à Puigdemont.

Ce dernier pourrait les rejoindre quand la justice allemande aura statué sur son sort, d’ici à deux mois. Cinq autres sécessionnistes, dont des anciens ministres régionaux et une chef de parti, installés en Belgique, au Royaume-Uni et en Suisse, sont sous le coup de mandats d’arrêt et pourraient se retrouver dans la même situation.

Est-ce à dire que le mouvement est décapité? «C’est presque l’ensemble du gouvernement Puigdemont qui est aujourd’hui en prison ou à l’étranger, concède Joan Marcet, professeur de sciences politiques a l’Université autonome de Barcelone. Les leaders qui restent en Catalogne sont moins connus, mais il faudra bien qu’émerge un candidat à présider la région parmi eux.» Le politologue émet deux hypothèses: «Soit les indépendantistes poursuivent leur stratégie d’opposition frontale aux pouvoirs de l’État. Cela nous conduirait à de nouvelles élections anticipées. Soit ils veulent vraiment, comme ils le disent, éviter un scrutin, et ils rechercheront alors un candidat capable de rassembler une majorité.»

Deux partis non indépendantistes de gauche, le Parti socialiste (PSC) et la mouvance locale de Podemos (gauche radicale) ont tendu la main à un pacte qui transcende la question nationale. Mais les tensions restent encore très vives entre les deux camps.

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