KGK », supportrice enjouée à Moscou et présidente nationaliste en Croatie

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  Par Loïc Trégourès, Université de Lille

Mais qui est Kolinda Grabar-Kitarovic (KGK) ? Lors de la finale de la Coupe du monde en Russie, la Présidente croate a fait le show à coups de chaleureuses démonstrations. Mais chez elle, en Croatie, elle arbore un tout autre visage.

La Coupe du monde de football en Russie aura été l’occasion pour le monde entier de faire la connaissance avec la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic, présente à tous les matchs, à l’exception de la demi-finale, systématiquement vêtue du maillot croate caractéristique à damier rouge et blanc. Supportrice enjouée, se montrant dans un avion de ligne régulier au milieu de supporters, la présidente croate a, par ailleurs, été l’une des vedettes de la cérémonie qui a suivi la finale au cours de laquelle, sous une pluie battante, elle enlaça chaque joueur croate, non sans verser quelques larmes au moment de féliciter le stratège croate Luka Modric, élu meilleur joueur de la compétition.

Les commentaires se sont alors multipliés à propos de la sympathie, de la simplicité, du leadership montré par « KGK », comme on la surnomme. Il était alors frappant de constater qu’aucun de ces commentaires et portraits ne prenait la peine de s’intéresser à la personnalité politique de KGK par-delà son apparence et son caractère exubérant, à ses responsabilités et ses prises de position.

Ainsi, et cela rejoint également certains commentaires faits sur le président Macron, on a eu tôt fait de disserter sur l’exercice de récupération politique auquel se sont livrés les deux chefs d’État lors de la finale du Mondial, alors même que ce faisant, paradoxalement, on les dépolitisait.

Il convient donc, dans un premier temps, de repolitiser le personnage de Kolinda Grabar-Kitarovic, avant de poser la question de l’efficacité, pour les responsables politiques, des stratégies de récupération politique d’événements sportifs.

Sur une ligne nationaliste et conservatrice

Élue de justesse à la présidence en 2015 sous l’étiquette du HDZ, le parti nationaliste requalifié centre-droit après la fin du régime autoritaire de Franjo Tudjman, père de l’indépendance croate, KGK a été auparavant secrétaire générale adjointe de l’OTAN et ministre des Affaires étrangères. Elle doit notamment sa victoire à la modération de ses propos sur les sujets de société pendant la campagne, qui ont rassuré les électeurs du centre – que ce soit sur l’homosexualité ou l’avortement, dans un pays où l’Église catholique est très influente, au point – à travers des mouvements citoyens – de demander la tête d’universitaires et de journalistes jugés trop critiques.

Pour autant, c’est à ligne dure du HDZ, nationaliste et conservatrice, qu’elle a donné le plus de gages depuis le début de sa présidence, non seulement sur ces mêmes sujets de société, mais aussi sur quelques marqueurs importants de la vie politique croate comme le rapport aux crimes de guerre, le rapport à la Bosnie, ou encore celui à la minorité serbe. Sur chacun de ces sujets, KGK se situe, en réalité, dans la droite ligne de Franjo Tudjman.

Le retour de Zagreb dans les affaires de la Bosnie

Il y a quelques mois, Slobodan Praljak se suicidait en direct au tribunal de La Haye juste après avoir été condamné pour crimes de guerre. La position de la présidente croate a été immédiatement de nier les attendus du verdict selon lesquels la Croatie était elle-même impliquée dans l’aide donnée aux Croates de Bosnie, tandis qu’un hommage national a été rendu à Praljak.

Il s’agit là d’un narratif officiel qui dépasse l’actuelle présidente, consistant dans l’impossibilité politique, médiatique, voire académique, de déroger au mythe de la « guerre patriotique » forgé par le HDZ et Tudjman. La figure de ce dernier est d’ailleurs également hors de portée des critiques : en témoigne le nouvel aéroport de Zagreb porte son nom.

Fidèle à ce narratif, KGK a opéré un retour de la Croatie dans les affaires de la Bosnie, considérant que le sort des Croates de Bosnie regardait directement Zagreb, alors que les précédents gouvernements sociaux-démocrates avaient adopté la ligne selon laquelle l’État des Croates de Bosnie était la Bosnie et que la Croatie ne devait pas se mêler outre-mesure des affaires internes de son voisin. Déstabiliser la Bosnie à travers le soutien aux nationalistes croates locaux semble être à nouveau à l’agenda de Zagreb comme de Belgrade qui en fait autant avec les Serbes de Bosnie. On retrouve là une alliance mortifère qui a vu, il y a 25 ans, Serbes et Croates essayer de s’entendre pour dépecer et « nettoyer » la Bosnie.

 Proche du boss mafieux du foot croate

Toujours fidèle au même narratif qui considère d’un très mauvais œil les Serbes de Croatie, Kolinda Grabar-Kitarovic a récemment apporté son soutien à un projet citoyen de réforme de la loi électorale par référendum visant à limiter les droits des minorités, jetant sur les opposants – que ce soit les Serbes de Croatie ou les sociaux-démocrates du SDP – des anathèmes tels que « communistes » ou « yougonostalgiques ».

Elle critique également le gouvernement pourtant issu de son propre parti, mais dont le premier ministre, Andrej Plenkovic, représente l’aile modérée et pro-européenne. Il y a donc derrière ce soutien la volonté de rester fidèle aux voix les plus conservatrices de son camp, celles qui étaient au gouvernement en 2016 avec un ministre de la Culture ouvertement révisionniste, Zlatko Hasanbegovic, qui avait entrepris de purger les médias des « traîtres à la patrie ».

En 2017, la présidente croate a d’ailleurs rompu la tradition en décidant de boycotter la cérémonie du 70ᵉ anniversaire de la libération du camp de la mort de Jasenovac, tout en refusant de nommer les coupables, à savoir le régime croate oustachi collaborationniste.

Dans le même temps, elle n’a pas hésité à se rendre à Bleiburg, lieu de mémoire controversé en Autriche où les partisans yougoslaves avaient éliminé des centaines de personnes accusées d’avoir fait parti du régime oustachi en 1945. Bleiburg est l’objet, chaque année, d’un pèlerinage de nationalistes et néo-nazis croates qui commence sérieusement à indisposer les autorités autrichiennes.

Enfin, si l’on en revient au football, il convient de rappeler que la présidente est une proche de Zdravko Mamic, le boss mafieux du football croate récemment condamné à six ans et demi de prison pour détournement et fraude fiscale. Ce dernier a financé la campagne de KGK, ainsi que sa fête d’anniversaire. Elle était, par ailleurs, au stade en Russie avec Damir Vrbanovic, lui aussi condamné à deux ans de prison dans le même procès, sans que cela ne semble la gêner le moins du monde.

La présidente croate n’est pas n’importe qui et il est important de ne pas négliger qu’elle est d’abord une responsable politique. Dans le cas contraire, on porte un jugement sur une image sans s’intéresser au fond, ce qui est, dans un autre contexte, tout le destin de la Première ministre serbe Ana Brnabic, que l’on ne voit généralement qu’à travers son genre, sa jeunesse et son homosexualité assumée sans jamais s’intéresser à ses actes.

Le Mondial, un effet limité à Zagreb comme à Paris

La seconde question posée est celle de l’efficacité supposée de la récupération politique opérée par Kolinda Grabar Kitarovic. D’abord, on peut faire crédit à KGK d’être sincèrement ravie d’être là et supportrice de son équipe. On l’a déjà vue en treillis et tirer au fusil d’assaut lorsqu’elle visitait les casernes, il n’y a donc rien d’étonnant à l’avoir vue ainsi, vêtue du maillot à damier, tout au long du tournoi.

Cela va-t-il pour autant se traduire par des gains politiques en vue de sa réélection en 2019 ? Cette vision ne s’appuie sur rien de tangible. Bien sûr, chacun voit bien à quel point KGK cherche à « récupérer » l’image de la sélection. Il est probable que ses clips de campagne seront remplis de ces images. Et alors ? Pense-t-on que les électeurs croates vont se prononcer le moment venu sur la foi de ces images et non pas sur la base des enjeux partisans, politiques, économiques, sociaux, identitaires habituels ?

Rien ne dit que sa popularité, abîmée depuis plusieurs mois en raison de la situation économique difficile de la Croatie, bénéficiera du Mondial. Il n’est qu’à regarder les premiers sondages sur le président Macron pour comprendre qu’il n’y a pas d’automaticité en la matière. Et quand bien même jouirait-elle d’un regain de popularité, il ne s’agit là que d’un moment temporaire qui finit toujours par retomber.

Dans un registre nettement plus tragique, que l’on se souvienne de la cote de popularité de François Hollande après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Celle-ci avait fortement crû, les Français ayant jugé positivement sa gestion de la crise. Néanmoins, les choses étaient revenues à la normale quelques semaines plus tard, et cela ne lui fut d’aucun secours sur le plan électoral par la suite.

Pourquoi en irait-il autrement chez les électeurs croates ? On peut gagner une élection grâce à une guerre bien menée (Margaret Thatcher après les Malouines), mais on ne gagne (ni ne perd) une élection parce qu’on a fait la fête à la Coupe du monde.

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