Le message de Dario Fo à l’occasion de la Journée mondiale du Théâtre

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La Journée Mondiale du Théâtre est célébrée par la communauté théâtrale dans le monde entier le 27 mars. Cette année, le message de cette journée est porté par le dramaturge, Prix Nobel de Littérature et metteur en scène italien Dario Fo.

Voici son message :

Le pouvoir a naguère voué les comédiens à l’intolérance et les a chassés hors de leur pays. Les acteurs et les troupes peinent aujourd’hui à trouver places, théâtres et public; tout cela à cause de la crise. Les dirigeants n’ont donc plus à se préoccuper de contrôler ceux qui s’expriment avec ironie et sarcasme, car les acteurs n’ont plus ni espaces, ni parterres à qui s’adresser.
Au contraire, pendant la Renaissance en Italie, les dirigeants avaient beaucoup de mal à maîtriser les comédiens, qui jouissaient d’un public très large. On sait que le grand exode des comédiens advint au siècle de la Contre-Réforme, qui décréta le démantèlement de tous les espaces théâtraux, en particulier à Rome, où on les accusait d’outrage à  la ville sainte. Le Pape Innocent XII, sous la pression de la frange la plus conservatrice de la bourgeoisie et des hauts représentants du clergé, avait ordonné, en 1697, la fermeture du théâtre de Tordinona, sur la scène duquel avaient eu lieu, selon les moralistes, le plus grand nombre de spectacles obscènes.
Du temps de la Contre-Réforme, le cardinal Charles Borromée, en fonction dans le nord de l’Italie, se consacra de façon prolifique à la rédemption des « enfants milanais », établissant une distinction nette entre l’art, forme la plus haute d’éducation spirituelle, et le théâtre, expression du profane et de la vanité. Dans une lettre adressée à ses collaborateurs, que je cite de mémoire, il s’exprime plus ou moins en ces termes :
« Nous qui sommes résolus à extirper la mauvaise plante, nous avons tâché, en jetant au feu les textes aux discours infâmes, de les extirper de la mémoire des hommes, et de poursuivre aussi ceux qui ont divulgué ces textes en les imprimant. Mais, évidemment, pendant que nous dormions, le démon œuvrait avec une nouvelle ruse. Combien l’âme est plus imprégnée par ce que les yeux voient, que par ce que l’on peut lire dans les livres de ce genre! Combien le mot, dit avec la voix et le geste approprié, blesse plus gravement les esprits des adolescents et des jeunes filles, que la parole morte imprimée sur les livres. Il est donc urgent de chasser de nos villes les gens de théâtre comme on le fait déjà pour les esprits indésirables« .
Ainsi, la seule solution à la crise réside dans l’espoir d’une grande chasse aux sorcières contre nous, et surtout contre les jeunes qui veulent apprendre l’art du théâtre: ainsi naîtra une nouvelle diaspora de comédiens, qui tirera sans doute de cette contrainte des bénéfices inimaginables pour une nouvelle représentation.

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