Nouzha SKALLI : La loi 103-13 ne protège pas les femmes.

5 min read

Nouzha SKALLI, pharmacienne, militante de la cause des femmes et ancienne ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité sous le mandat d’Abbas El Fassi (2007-2011). Elle a été l’invitée, le 27 février dernier, de l’Union de la Presse Francophone (UPF Maroc) pour débattre notamment de la loi 103-13. Le Parlement marocain vient d’adopter la loi 103-13 relative à la lutte contre la violence envers les femmes. Cette loi 103-13 n’est pas à la hauteur des attentes des associations des droits des femmes. Il s’agit d’une loi sans préambule pour annoncer ses objectifs.

Elle ne pénalise ni le vol entre époux, ni le viol conjugal et s’intègre parfaitement avec l’esprit obsolète et moralisateur du code pénal, plus axé sur la préservation des bonnes mœurs et de l’ordre des familles que sur la protection de l’intégrité physique et morale des femmes.

Comment expliquer que l’expertise reconnue du mouvement féminin n’aie pas été sollicitée pour l’élaboration de la loi? Le mouvement féminin a créé de longue date un ensemble de réseaux de centres d’écoute et d’assistance psychologique et juridique pour les femmes victimes de violence.

Nouzha Skalli (au centre avec une veste verte et bleue) est une militante du PPS. Pharmacienne de formation, elle s’implique dans la défense des droits des femmes. Ici, en 2015, lors de l’affaire dite de la «jupe» où des jeunes femmes ont été agressées. Après avoir été un temps considérées coupables de leur propre agression, les deux victimes ont été relâchées grâce à de vigoureuses protestations citoyennes. Depuis, aucune affaire similaire n’a été signalée (Ph. L’Economiste)

Ces centres présentent des services multiples aux femmes victimes de violence, accumulant ainsi une véritable expertise de terrain. Et pourquoi avoir limité le droit des associations à se porter partie civile en le conditionnant par l’autorisation écrite de la victime ! Et que faire quand la victime est dans le coma ou quand elle est réduite au silence à jamais ou qu’elle est soumise à chantage ?

La déception des associations est d’autant plus grande que la Constitution de 2011, considérée comme une véritable Charte des droits humains et de l’égalité, laissait espérer une loi de qualité, à la hauteur des engagements nationaux et internationaux du Maroc, conforme aux normes et standards internationaux  en matière de législation de lutte contre les violences faites aux femmes.

L’enquête nationale du HCP sur la violence faite aux femmes en 2009-10 a été un choc  car soit 62,8% des Marocaines ont subi un acte de violence (psychologique, physique ou sexuelle), durant les douze mois précédant l’enquête.

La loi 103-13  est une occasion ratée de réaliser l’unanimité autour de la protection des femmes contre la violence. Le gouvernement aurait beaucoup à gagner à ne pas rester sourd aux appels multiples et plus particulièrement ceux des associations féminines et du Conseil National des Droits de l’Homme.

Cela aurait permis de réaliser un vote unanime, à l’instar de la réforme du code de la famille conduite magistralement par SM le Roi, adoptée à l’unanimité et saluée par l’ensemble du mouvement féminin. Cela aurait permis de montrer la capacité du gouvernement de placer la question de la protection des femmes contre la violence au-dessus des calculs politiciens et des considérations idéologiques.

Mais le PJD s’est tenu à son référentiel, moralisateur et gardien du temple du patriarcat, accordant une place prédominante aux hommes et il faut croire que ses alliés au sein de la majorité (dont le PPS) avaient d’autres priorités. Pourtant cette question est stratégique pour le développement du pays et pour les droits humains de toutes les composantes de la société et particulièrement les femmes et les enfants, donc les femmes et les hommes de demain !

 

Le Maroc s’est mis hors du cadre de l’ONU

La nouvelle loi n’intègre pas le principe de «diligence voulue», recommandée par les Nations unies et qui consacre l’obligation pour les autorités d’enquêter, de chercher les preuves, de prévenir la violence, de protéger les femmes, de sanctionner les auteurs et prendre en charge les victimes et leurs enfants !

Sa structure  comporte des définitions tronquées par rapport à celles de la déclaration de l’ONU sur la violence, des dispositions amendant et complétant des articles du code pénal, des dispositions procédurales et enfin des mécanismes de prise en charge, bureaucratiques excluant les associations féminines qui pourtant jouent un rôle de premier plan dans la prise en charge et l’accompagnement des femmes victimes de violence.

La déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies en 1993 qualifie la violence faite aux femmes comme une violation des Droits humains des femmes et une manifestation de la discrimination à leur égard. Mais il s’agit également d’un problème de santé publique qui se répercute négativement sur la vie et la santé des femmes et des enfants et socio-sanitaire avec pour conséquences mariage précoce, grossesses non désirées, avortement clandestin, mères célibataires, enfants abandonnés, enfants en situation de rue, abandon scolaire, etc. et donc l’entrave au développement.

 

Pour en dire un peu de bien…

Les avancées sont maigres, mais il faut les connaître pour s’en servir :

– Aggravation des peines, dans certaines formes de violence, quand l’auteur est le mari, le divorcé ou le prétendant ou bien quand la victime est mineure ou personne en situation de handicap.

– Nouvelles mesures de sûreté personnelle : notamment l’interdiction de l’auteur de violence d’entrer en contact avec la victime ainsi que le suivi d’une thérapie psychiatrique adéquate.

Pour la première fois, un texte pénalise certains actes mais avec de nombreuses restrictions, dont certaines sont scandaleuses :

– L’expulsion du domicile conjugal, mais sans mesures de protection pour les femmes ;

– La dilapidation des biens communs, mais pas le vol entre époux !

– Le mariage forcé, mais uniquement en cas d’utilisation de violence ou de menace, sans pénaliser le mariage de la Fatiha, subterfuge pour échapper aux dispositions du code de la famille et pérenniser le mariage avec des petites filles.

– Le harcèlement sexuel est puni de 1 à 6 mois de prison, sans en apporter la moindre définition, et quel que soit le sexe de l’auteur ! Le délit se situe dans une zone d’ombre entre la répression sexuelle et la lutte contre le harcèlement sexuel.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.