L’intelligence artificielle : entre révolution éducative et défi de l’emploi en Inde
L’intelligence artificielle (IA) n’est plus une simple curiosité technologique ; elle est devenue un moteur de transformation mondiale. Alors que les universités occidentales explorent son intégration dans leurs cursus, l’Inde voit en l’IA une opportunité stratégique majeure, non seulement pour moderniser son enseignement, mais surtout pour résoudre son paradoxe le plus criant : le chômage des jeunes diplômés.
L’Inde, nouvel eldorado de l’intelligence artificielle
Le potentiel de l’Inde sur la scène mondiale de l’IA est indéniable. L’année dernière, le géant américain OpenAI, créateur de ChatGPT, a annoncé l’ouverture de son tout premier bureau dans le pays. Cette décision a été saluée par le ministre de l’Électronique et des Technologies de l’Information, Ashwini Vaishnaw, qui a affirmé que l’Inde est dans une position unique pour mener la prochaine vague de transformation par l’IA. Dans cette optique, la mission gouvernementale « India AI » vise à construire un écosystème d’IA fiable et inclusif, en collaboration avec des acteurs comme OpenAI.
D’autres poids lourds de la tech ne sont pas en reste. NVIDIA, leader mondial du calcul pour l’IA, a dévoilé en 2023 un partenariat stratégique avec le conglomérat indien Reliance. De leur côté, Google et Microsoft ont déjà investi des sommes colossales dans la production et la commercialisation de solutions d’IA sur le marché indien, confirmant ainsi le statut du pays comme un pôle d’attraction incontournable pour les investissements technologiques.
Dans les universités américaines, une adoption « critique » de l’IA
Pendant que l’Inde attire les investissements, les campus universitaires, notamment aux États-Unis, expérimentent déjà l’intégration de l’IA dans le quotidien des étudiants. L’Université de Boston (BU) a récemment lancé « TerrierGPT », une plateforme de chat basée sur l’IA, offrant aux étudiants un accès gratuit aux modèles d’IA générative les plus performants.
Cette initiative, pensée pour « garantir un accès équitable » à des outils qui deviennent de plus en plus payants, ne fait cependant pas l’unanimité. Quinn, un étudiant en design graphique et anthropologie, exprime un certain scepticisme. « Sur Internet, on me pousse à utiliser l’IA à chaque seconde », confie-t-il. Désormais, cette pression vient aussi de l’université elle-même, ce qui peut donner l’impression d’une forme de « pression sociale » et désavantager ceux qui choisissent de ne pas utiliser ces technologies.
Néanmoins, la tendance est claire. Des institutions comme l’Université d’État de l’Ohio, avec son programme « AI Fluency Initiative », forment activement les étudiants à maîtriser l’IA, car les employeurs recherchent de plus en plus des candidats possédant ces compétences. Tye Robison, une étudiante en sciences des données, le confirme : « Les étudiants de ma filière savent qu’ils devront maîtriser l’IA, qu’ils le veuillent ou non. »
Au-delà des salles de classe : le vrai défi de l’employabilité en Inde
Si l’IA peut aider à rédiger des dissertations ou à résoudre des équations, son véritable potentiel en Inde se situe ailleurs. Le principal problème du pays n’est pas la réussite aux examens, mais l’inadéquation entre les diplômes et les exigences du marché du travail. Après l’obtention de leur diplôme, des millions de jeunes Indiens se retrouvent incapables de trouver un emploi à la hauteur de leurs qualifications.
Cette réalité est palpable. Un jeune diplômé en sciences du Bihar, par exemple, expliquait qu’aucune entreprise ne venait recruter dans sa région. Quelques mois plus tard, il travaillait dans un magasin local pour un salaire mensuel dérisoire de 8 000 à 9 000 roupies. Son cas est loin d’être isolé. Une étude de 2019 (Aspiring Minds) a révélé que plus de 80 % des ingénieurs indiens ne sont pas employables dans les métiers de l’économie du savoir.
Quand l’IA devient un coach de carrière
C’est précisément là que l’IA peut jouer un rôle décisif, non pas en tant qu’assistant pédagogique, mais en tant que guide professionnel. Dans les petites villes et les zones rurales (Tier-II et Tier-III), les perspectives de carrière se limitent souvent à quelques options classiques : médecin, ingénieur, fonctionnaire ou petit commerce. Imaginez une IA capable de présenter, dans les langues locales, des centaines de nouveaux métiers dont ces jeunes n’ont jamais entendu parler.
Au-delà de l’information, l’IA peut analyser les compétences d’un étudiant et les mettre en relation avec la demande de l’industrie, en suggérant des formations ciblées. Plus important encore, elle peut connecter directement les talents et les employeurs. Selon la NASSCOM (2024), 70 % des PME indiennes peinent à recruter des travailleurs qualifiés, alors que des millions de diplômés sont au chômage. Des moteurs de recherche d’emploi intelligents pourraient enfin créer ce pont manquant.
Les obstacles à surmonter pour une IA réellement inclusive
Pour que cette vision se concrétise, plusieurs défis doivent être relevés. D’abord, le biais de conception : la plupart des outils d’IA sont conçus pour des utilisateurs urbains et anglophones, ignorant les 70 % de la population qui vivent en dehors des grandes métropoles. Ensuite, les politiques publiques, comme la NEP 2020, se concentrent sur la maîtrise de l’IA mais n’exploitent pas encore son potentiel pour l’employabilité. Enfin, il y a une déconnexion avec les recruteurs ; les outils de formation sont rarement intégrés aux systèmes d’embauche.
L’Inde investit des milliards dans les technologies de l’éducation (EdTech), mais le sous-emploi persiste. Le véritable enjeu est de concevoir une IA axée sur l’employabilité, capable de transformer le capital investi en carrières concrètes et les diplômes en moyens de subsistance.
L’IA, un catalyseur et non un ennemi
La question n’est pas de savoir si l’IA va « voler des emplois ». L’IA n’est pas là pour remplacer le talent humain, mais pour l’amplifier. Pour la jeunesse indienne, elle peut servir de tremplin, permettant d’accéder à des carrières qui semblaient autrefois inatteignables. En ce sens, l’IA n’est pas une menace pour l’emploi ; elle est l’outil qui pourrait enfin combler le déficit de compétences de l’Inde et libérer son immense potentiel humain.